Un café nommé désir
(Un certain mercredi après midi du mois de septembre.)
_" Alors ce sera un crème, deux café, une limonade et une afligem s'il te plait!! " tonnais je à mon collègue Claude installé derrière le bar, comme un gardien de phare le serait au sommet de sa cime.
Claude un collègue un peu taciturne, susceptible à ses heures, peu enclin à la remise en question mais tellement ponctuel dans ses heures d'ouverture et de fermeture, 1m90 d'horloge rassurante sur un tronc aussi sec que tranquille.
En ce début d'après midi de rentrée scolaire, après avoir passé le "rush" d'un service restaurant plein pot et alors que les tables de terrasse n'étaient pas encore débarassées, s'installaient à ces même tables un flot d'anonymes venant de la rue, la démarche leste et robotique à la fois, comme si l'arome de l'arabica déversé en petit flot d'or noir caféiné avait traversé les bâtisses des toits du XVIIIème siècles, à l'instar du joueur de flute de Hamelin le faisant avec les rats dans les contes.
"Bande de rats" pestais je intérieurement envers ces clients, qui justement n'avaient aucun scrupules à s'installer sur des tables, ni lavées à la va vite, ni perpendiculaire dans leur alignement, ni même débarassées de leur chantier de victuailles.
Qu'importe il est bien connu que dans l'inconscient collectif des gens, les serveurs ne sont que des serviteurs faient pour servir les clients se représentant comme des nobles de la monarchie d'antan.
Grave erreur de leur part, je suis de ceux qui prennent leur pied dans la confrontation de la joute verbale et malgré mon impertinence aux yeux de certains, ma qualité d'employé efficace m'a toujours permis de ranger mon patron à ma cause.
Ainsi donc faisant au mieux pour remettre de l'ordre dans ma circonférence professionnelle, je ne vis cette jeune fille passer derrière moi pour filer droit vers la table à droite au fond du café
Je ne me rendis compte de sa présence qu'une fois à l'intérieur au comptoir du bar pour décharger mon plateau quand entamant ma prise de commande.
_" Claude cette fois ci, ce sera un thé earl grey, un perrier tranche et une pression....." ma phrase ne se finit jamais vraiment et ne resta qu'un dernier souffle de véhémence avorté par la subjugation qu'un croyant aurait eu devant l'apparition de la vierge.
_" Alors pression quoi? " me dit mon collègue de son ton malicieux par dessus ses lunettes, bien sur qu'il avait compris ce con.
J'ai dis con moi?Putain non c'est pas possible? Quand je perd mes moyens je deviens très vulgaire parait il, oubliant les formalités d'usage qui font que l'on ne se douterait pas que je viens des quartiers, trainant mes casseroles au langage de l'argot.
_" Euh ce sera une blanche pression " dis je vaguement, avant de revenir sur ma décision de façon plus lucide
_" Dis tu peux prendre le relais au niveau du service, j'm'occupe de la commande de la fille qui s'est mise à la table 16 "
_" Vas y mon grand, j'crois t'es plus capable de faire autre chose vu la gueule d'ahuri que tu tire " me répondit il avant de partir en riant.
Les secondes qui suivirent se déroulèrent comme une scène de film c'est à dire un maximum d'échange en un minimum de temps.
_" Bonjour qu'est ce que j'vous sers? " dis je avec entrain
Arrêtant son dodelinement d'avant en arrière sous le signe d'une intense reflexion, la brunette à la cascade capillaire bouclée s'était installé sur la table du café aussi bien qu'elle l'aurait faite sur un bureau d'étude.
Elle avait sorti toute une plethore d'attirail fait de résidu de fin de gomme, de notes froisées, raturées, déchirées, ainsi que d'un bloc note aux trois couleurs primaire fluorescente.Ainsi qu'une petite pile de bouquin posé nonchalemment l'un sur l'autre.
J'eus le temps de lire le nom des différents auteurs, Rimbaud, Verlaine, Stendhal, Balzac, Dumas.Hmm une fille cultivé à ce que je vois,bon c'est pas avec mon humour à deux balles comme l'histoire du mec qui avait cinq bites et que son slip lui allait comme un gant que j'allais l'impressionner.
C'est avec un léger pincement sur le coin inférieur gauche de sa lèvre comme signe de gène qu'elle me dit :
_" Excusez moi, j'ai tendance à me sentir un peu comme chez moi dans ce café.Euh je prendrais un cappuccino.Par contre j'voulais savoir si vous faisiez vous même la chantilly ou si c'était de l'industrielle?"
Bingo la chance m'était offerte de m'aventurer sur un sujet qu'elle ne maitrisait pas
_" Vous savez mademoiselle, même si l'on faisait la chantilly nous même, ça n'en fera pas pour autant un véritable cappuccino.Le cappuccino traditionnel se fait en injectant de la vapeur bouillante à 180° sur la surface de lait, cela fait de la mousse et là on créer un choc thermique en mettant le pot de lait et sa mousse formé dans un seau à glace.
En 20 seconde vous avez de la mousse bien danse et bien crémeuse.Vous en voulez? "
Impressionné par mon débit de parole à l'intonation sûre d'elle, fluide et pédagogue, la réponse fut toute trouvé.
Je revins avec le breuvage tant désiré, le déposa sur sa table puis j'osais lancer ma question qui me trottait en tête.
_ " Excusez moi mais que lisez vous, ça m'intrigue? "
Elle me sourit comme une sorte d'encouragement, bon sang à mon âge je me sentais aussi blaireau qu'un jeune prépubère de quinze avec le coeur cognant à n'en plus finir, j'étais désemparé.
Seul mon flegme conçu pour sauvegarder mes apparences n'en laissa rien paraitre.Torturant mon orgueil masculin ne s'avérant être que de la démagogie obsolète, tout les pores de ma peau me criaient qu'elle était celle qui me correspondait.
_" Les fleurs du mal de Beaudelaire, je peux vous lire un passage pour vous remerciez du premier véritable cappuccino que j'ai bu de ma vie " osa t'elle dire avec une voix aussi rafraichissante que l'eau d'un ruisseau.
(hochement de tête de ma part)
_" Alors ça s'appel l'invitation au voyage! "
Mon enfant, ma sœur,
Songe à la douceur
D'aller là-bas vivre ensemble !
Aimer à loisir
Aimer à mourir
Au pays qui te ressemble !
Les soleils mouillés
De ces ciels brouillés
Pour mon esprit ont les charmes
Si mystérieux
De tes traîtres yeux
Brillant à travers leurs larmes.
Là, tout n'est qu'ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté
Des meubles luisants,
Polis par les ans,
Décoreraient notre chambre ;
Les plus rares fleurs
Mêlant leurs odeurs
Aux vagues senteurs de l'ambre,
Les riches plafonds,
La splendeur orientale,
Tout y parlerait
A l'âme en secret
Sa douce langue natale.
Là, tout n'est qu'ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté
Vois sur ces canaux
Dormir ces vaisseaux
Dont l'humeur est vagabonde ;
C'est pour assouvir
Ton moindre désir
Qu'ils viennent du bout du monde.
-Les soleils couchants
Revêtent les champs,
Les canaux, la ville entière,
D'hyacinthe et d'or ;
Le monde s'endort
Dans une chaude lumière.
Là, tout n'est qu'ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté
_" C'est très beau, les fleur du mal dites vous?Je songerais à l'acheter car vous m'avez rendu la journée beaucoup plus agréable merci."
Ce jour là, le coup de foudre s'était matérialisé en la fille de la table 16....